Campement dans la clairière

Je fus réveillé aux premières lueurs du jour par un léger coup de botte, suivi d'un deuxième. Alors que j'allais protester, je vis le visage soucieux de Dashin au-dessus de moi. Ok, pas de bruit. Je me levai en silence et attrapai mon fusil d'assaut. Faz était levé lui aussi, il avait déjà ses armes à la main. La tente se replia sans un bruit, et Dashin nous désigna un point dans la forêt. Alors que nous nous approchions discrètement, des éclats de voix nous parvinrent.

"...savez que si le chef de la Mafia apprend notre business, je suis bon pour le bagne !"
"Ne vous en faites pas, cher associé. Personne n'est au courant.
"Personne, personne, vous avez quand même tenté de tuer tous les autres chefs des mafias, et vous êtes rentrés bredouille. Ils ont du trouver qui leur avait envoyé tous ces assassins et ces monstres...
"Je me suis bien camouflé, ne vous en faites pas. Tenez, voici votre salaire, cher émissaire. Partez, maintenant, j'attends une livraison non loin d'ici, et je ne tiens pas à ce que vous vous fassiez embrocher par mes amis pour le moins... Réactifs."

On entendit de vagues balbutiements, puis des bruits de pas précipités. On n'était donc pas loin du point de rendez-vous d'une des Mafias de Citadinel... Les Elfes Noirs, c'était bien ça? Ça sonnait bien, ils avaient bien choisi leur nom. J'avais entendu dire qu'ils avaient dégommé le second du chef de Citadinel, qui devait être vraiment en rogne contre eux maintenant.
Je baissai la tête, et aperçus un petit homme au teint blafard parmi les feuillages. Il portait un costume gris/vert, qui se fondait plus ou moins parmi les feuilles des arbres. Soudain, il se mit à courir très, très vite vers l'Est.

Faz se leva et se mit à sa poursuite. J'allai en faire de même, mais Dashin me retint et me murmura :

"Ce type n'est pas humain. Il pue le démon à plein nez.."
"Et Faz, alors?"
"Il sait jauger ses ennemis, et n'est pas assez stupide pour s'attaquer à un aussi gros morceau. Notre mission est d'observer, et d'enregistrer la scène."
"Mais tu sais où il est allé?"
"J'en ai traqué, des démons, bonhomme. Suivre sa trace sera facile. Allez, en route !"

Nous nous mîmes ainsi à la poursuite du démon. Dashin m'apprit à reconnaître les traces caractéristiques de brûlure qu'il laissait sur les arbres, les fleurs fanées çà et là, les insectes morts au sol. Démon majeur, me dit-il, un être maléfique voué à la destruction.
Soudain, Dashin nous fit nous arrêter d'un coup. Il écoutait la nature, et elle n'avait pas l'air de lui raconter des bonnes nouvelles.
Lorsqu'il sortit de sa semi-transe, il me regarda avec un air grave :

"Il a déjà détruit un arbre-monde de la forêt, et a l'intention de faire de même avec tous les autres, afin de faire plier la Mafia principale."
"...Ok. Et?"
"Et ça signifiera donc la destruction de plus de la moitié de la forêt, vu que les arbres-mondes font plus de cinquante mètres de diamètre, et au moins trois cent mètres de haut, pour environ 20 km² de feuillage. Un arbre-monde qui meurt, c'est des millions d'insectes, animaux, hypogriffes, griffons, ainsi que tous les elfes en-dessous qui mourront.
"...Merde. Mais on peut faire quoi, nous, face à un démon?"
"Rien. Mais on peut faire notre mission. Go."

Ok, mais pourquoi il m'a dit ça alors? Je n'eus pas le temps de réfléchir plus à la question, il repartit à fond de train. J'eus du mal à le suivre, mais au bout de quelques minutes de course à travers les bois, il s'arrêta, et me désigna Faz du doigt, déjà à son poste.

Il s'allongea dans l'herbe, de façon à pouvoir bien voir toute la scène, je me plaçai quelques mètres plus loin pour avoir un autre angle. Le démon descendit de l'arbre dans lequel il était perché, et s'assit sur le sol.

Il plaça ses mains dans l'herbe, tourna son visage vers le ciel et ferma les yeux. Presque aussitôt, les herbes moururent autour de lui, les fleurs fanèrent, et le cercle de mort s'étendit au fur et à mesure que l'apparence du démon en costume se modifiait. Il devint un grand elfe, ses oreilles s'allongèrent, ses sourcils filèrent vers ses tempes, ses yeux devinrent de cristal, ses cheveux s'allongèrent et pâlirent. Il grandit d'un coup, puis rompit sa transe mortelle, après avoir massacré toute la clairière.

Il ne nous restait plus qu'à attendre les Elfes Noirs... Heureusement que nos caméras étaient déjà en marche, parce qu'il faudrait plus qu'un petit commando pour venir à bout de ce type-là.

Au bout de longues heures d'attente dans la boue (et après on s'étonne que les militaires aient une réputation de crasseux, vous avez vu ce qu'on nous fait faire aussi?), le type en costume (devenu un elfe, donc on va l'appeler l'elfe) se releva. Trois autres elfes un peu plus petits et vêtus de gris surgirent à l'opposé de la clairière. Je lançai un bref regard à Dashin, et m'aperçus que les caméras tournaient toujours.

Nous captâmes quelques bribes de conversation, mais les micros surpuissants des caméras avaient assurément tout enregistré. Quelques billets passèrent de la main du démon déguisé en elfe à celle d'un des elfes gris, puis le démon se volatilisa.

Voila. Dix heures d'hydroglisseur, une nuit sous la pluie, quatre heures dans la boue pour quatre bouts de papier. C'est vraiment... Rageant. Je soupirai discrètement de rage. Pas assez apparemment...

Les trois elfes se tournèrent d'un bloc dans ma direction, et je compris ma bourde trop tard. Les lois des militaires stipulaient qu'un militaire pris valait mieux qu'une escouade. Or s'ils me trouvaient ici avec mon matos, Faz et Dashin étaient cuits eux aussi.

Je croisai le regard de Dashin. Je lisais dans ses yeux ce qu'il allait faire. Avant qu'il n'ait eu le temps de se lever pour nous sauver, je me relevai d'un bond en abandonnant la caméra en mode camouflage. Les trois elfes furent quelque peu surpris, mais réagirent au quart de tour : à peine eus-je le temps de me précipiter dans la forêt à toutes jambes qu'ils étaient déjà à mes trousses. Ils n'étaient pas des tueurs, ça se voyait à leurs gestes, mais ils étaient habitués des courses en forêt, et me rattrapèrent une vingtaine de mètres plus loin. Je me sortis mon fusil d'assaut et blessai un des elfes, mais les deux autres me chopèrent par les côtes et me ligotèrent dans un filet d'une matière indéfinissable.

Je faisais le plus de bruit et me débattai le plus possible pour que Faz et Dashin aient le temps de déguerpir en vitesse. Soudain, un des elfes me colla une seringue dans le bras. Je sentis la drogue se répandre dans mes veines comme un poison brûlant. Je hurlai, tandis que ma conscience me quittait peu à peu.

Archipel de l'hydre > Cavernes ...

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